Les obstacles au commerce pour la femme commerçante gabonaise et esquisses de solutions
Introduction
En
matière de droits humains, les femmes sont davantage marginalisées que les
hommes. En effet, même si la situation s’améliore dans de nombreux pays, comme
le Gabon, les femmes demeurent encore aujourd’hui moins éduquées, moins
rémunérées, moins reconnues dans leur travail et moins visibles dans le milieu
des affaires que les hommes. L’écart entre femmes et hommes dans le cycle de la
pauvreté continue à croitre à tel point qu’on parle du phénomène de « féminisation
de la pauvreté. » Selon une étude
réalisée par le PNUD et ONU Femmes, la pandémie de
covid-19 va augmenter le taux de pauvreté des femmes de l’ordre de 9,1% et
creuser encore davantage l’écart entre les hommes et les femmes vivant dans la
pauvreté.
Ce tableau sombre de la situation générale de la femme n’épargne pas le Gabon, en dépit d’un engouement des pouvoirs publics à renverser la tendance. Les efforts les plus considérables ont jusqu’à ce jour été orientés vers le statut de la femme au sein du ménage et le respect de ses droits civiques et politiques. Sur le plan économique, la participation de la femme au commerce transfrontalier formel reste très minoritaire par rapport à celle de l’homme, bien qu’elles soient majoritaires dans le commerce informel. On observe à cet effet une inégalité patente entre l’homme et la femme dans l’accès et l’exercice du commerce. Dès lors, quels sont les principaux obstacles rencontrés par les femmes gabonaises qui veulent se lancer dans le commerce ? Comment l’État peut-il y remédier ?
La réponse à ces interrogations nous conduit à examiner d’une part les obstacles au commerce pour les femmes (I) et d’autre part, les esquisses de solutions (II).
I/ Les obstacles au commerce pour la femme
commerçante gabonaise
Les obstacles au commerce pour la femme commerçante gabonaise sont de plusieurs ordres et varient selon qu’il s’agit d’un entreprenariat local (A) ou d’un commerce transfrontalier (B).
A/ Pour l’entreprenariat local
Par entreprenariat local, nous entendons toute activité commerciale qui ne comporte pas un élément d’extranéité. C’est l’activité commerciale qui commence et s’achève à l’intérieure de nos frontières. À ce niveau, nous pouvons identifier deux types d’obstacles : des obstacles structurels et des obstacles psychologiques.
Sur le plan structurel, les femmes gabonaises se lancent en général dans le commerce pour subvenir aux besoins de leurs familles et non pour en faire une activité professionnelle. Ce qui se justifie par la structuration de leurs activités commerciales qui se déroulent pour l’essentiel en dehors du cadre d’une entreprise formellement créée. En effet, malgré l’implication de plus en plus croissante des femmes dans la vie économique, l’état des lieux de l’entreprenariat au Gabon montre que les femmes sont sous-représentées dans ce secteur. En 2012, selon le Centre de Développement des Entreprises, elles ne représentaient que 21% des créateurs d’entreprise contre 79% d’hommes. En 2013, la Direction Générale des Petites et Moyennes entreprises a recensé 1998 femmes entrepreneurs contre 9607 hommes.
Cette réticence des femmes à la création des entreprises peut trouver son origine dans le fait que les tâches ménagères leur incombent à titre exclusif et une telle exclusivité des tâches ménagères est incompatible à la gestion d’une entreprise qui nécessite assez de temps. C’est pourquoi les entreprises gérées par les femmes, bien souvent, se développent plus lentement et sont moins rentables que les entreprises à direction masculine de manière générale.
Sur le plan psychologique, de nombreuses femmes sont plus susceptibles de manquer de confiance en elles et hésitent ainsi à prendre des risques. Or, l’exercice du commerce implique une prise de risque permanente. De l’autre côté, les banques sont plus hésitantes lorsqu’il s’agit d’octroyer des crédits à une femme que lorsqu’il s’agit d’un homme. Cette discrimination limite l’accès de ces dernières au crédit qui constitue pourtant un élément incontournable du développement des activités commerciales. Ainsi, les entreprises créées par les femmes gabonaises sont caractérisées par un capital social réduit et une faible productivité et relèvent généralement de l’économie de subsistance. Ce qui ne leur permet pas de s’imposer sur la scène économique.
B/ Pour les commerçantes
transfrontalières
Contrairement à l’entreprenariat local, le commerce transfrontalier implique un dépassement de nos frontières, et comporte par conséquent plus de risques. D’abord, les procédures complexes aux frontières, et les multiples taxes douanières constituent la principale difficulté rencontrée par les femmes. En effet, les commerçantes transfrontalières sont souvent mal ou sous informées par rapport aux formalités et aux taxes douanières, ce qui en font des victimes potentielles pour les agents qui cherchent à « arrondir leurs fins du mois », en demandant des pots-de-vin. Les commerçantes informelles sont particulièrement vulnérables aux abus. Elles sont exposées au harcèlement, parfois même à caractère sexuel de la part des agents frontaliers et des transporteurs, comme le rapportent plusieurs d’entre elles.
Face à ce tableau qui vient d’être dépeint, il est impératif et plus qu’urgent pour l’État d’intervenir, d’autant plus que la réduction des inégalités femmes-hommes est à la fois une fin en soi et une condition préalable à l’instauration d’un développement solidaire et pérenne. L’État doit donc, dans la recherche du développement économique, permettre aux femmes d’exploiter tout leur potentiel et de les protéger de ce qui les affaiblit. Mais, en l’état actuel de la situation, comment notre pays peut-il remédier à tous ces maux ?
Pour être efficace, les solutions de l’État doivent tenir compte de la situation des commerçantes. Comme exposé ci-dessus, les obstacles diffèrent selon que la femme exerce son activité localement ou selon qu’elle est impliquée dans un commerce transfrontalier, formel ou informel. À chaque situation devrait correspondre un arsenal de mesures dont nous ne pouvons que donner quelques esquisses ici.
A/ Les esquisses de solutions aux
difficultés des commerçantes locales
Pour permettre à la femme de surmonter les différentes difficultés énoncées ci-dessus, l’État doit mettre en place une véritable politique d’incitation à l’entreprenariat féminin. Plutôt que de se constituer en association, les femmes doivent être encouragées à mettre en commun leurs ressources dans le cadre des entreprises légalement constituées. Il peut ainsi être nécessaire d’octroyer à celles qui créent des entreprises, des incitations fiscales de natures à les encourager. En plus, les femmes étant davantage présentes dans la filière agricole, il faut valoriser ce secteur en mettant en place une politique de transformation locale des produits agricoles en vue de sortir d’un commerce de subsistance pour un commerce industriel.
Par ailleurs, tel qu’indiqué plus haut, les femmes sont plus réticentes à prendre des risques que les hommes. Il faut donc que l’État aide ces dernières à faire face aux risques en facilitant leur accès au crédit auprès des banques. On pourrait ainsi mettre en place un fond d’aide à l’entreprenariat féminin, dont le but serait d’octroyer des crédits aux femmes créatrices d’entreprises en vue de leur permettre de développer leurs activités. De plus, les femmes s’orientant vers le commerce en détaillantes pourraient être encouragées à se convertir en grossistes. L’État peut ainsi leur attribuer des subventions ou accorder des monopoles aux entreprises féminines dans certains secteurs. Il est aussi important d’organiser des sessions de formation aux compétences de gestion commerciale, telles que la comptabilité, la préparation des plans commerciaux, destinées aux femmes.
B/ Le cas particulier des commerçantes
transfrontalières informelles
La résolution des difficultés rencontrées par les commerçantes transfrontalières informelles s’avère plus complexe. En effet, il a souvent été affirmé que la meilleure façon de surmonter ces obstacles était de mettre en place une politique incitant les acteurs à sortir de l’informel. Cette solution ne nous semble pas plausible.
Certes, la simplification des procédures, le renforcement des capacités et d'autres politiques ciblant directement le commerce transfrontalier informel peuvent, dans une certaine mesure, infléchir les dynamiques existantes, mais ces démarches ont peu de chances de perturber les incitations au commerce informel face à des structures relationnelles aussi profondément ancrées. Quoi que l’on fasse, le commerce transfrontalier informel a peu de chance de disparaître. Plutôt que de chercher à le supprimer, il faut se rendre à l’évidence qu’il existe et qu’il existera toujours et lui proposer des solutions adaptées.
.
Il faut à cet effet inclure dans les accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux des règles adaptées aux commerçantes informelles. Les État frontaliers doivent coopérer et s’accorder sur les formalités à exiger à ces dernières pour qu’elles ne soient plus livrées à la merci de la cupidité des différents agents aux frontières. L’État devrait apporter un soutien aux commerçantes transfrontalières informelles par le biais des programmes de renforcement de leurs capacités. Il s’agit d’assurer leur sécurité, notamment par la fourniture d’informations et de formations sur leurs droits et, en simplifiant les procédures.
Conclusion
Malgré la consécration du principe d’égalité homme-femme par des textes régissant le commerce dans notre pays, la marginalisation des femmes dans le domaine économique est patente et constitue un véritable facteur de retard socio-économique. En matière de financement, les femmes sont victimes de discrimination et n’ont qu’un accès limité aux crédits. Les commerçantes se heurtent ainsi à des obstacles structurels, notamment à un accès limité au capital et à l’information économique, à un manque de connaissances financières et à une formation technique et commerciale insuffisante. À cela s’ajoutent de lourdes responsabilités familiales. Toutefois, la situation n’est pas sans issue. Notre pays dispose d’une très large marge de manœuvre pour agir. Cette action de l’État devrait consister non seulement à restructurer l’environnement économique, mais aussi à former les commerçantes en vue de faire évoluer leurs mentalités et leur conception du commerce.
Myrlande IGNOUNGA MOUNGUENGUI
Myrlande est titulaire d'un Bachelor en Administration des Affaires, option Marketing et Commerce International à l’Académie Franco Américaine de Management (AFRAM) à Libreville et titulaire d’un Diplôme d’Études Universitaires Générale en Droit International Public à Ouagadougou. Actuellement, elle suit une formation en ligne diplômant en Master Spécialisé en Politique Commerciale à TRAPCA en Tanzanie.