République Démocratique du Congo : 5 obstacles que doivent surmonter les femmes commerçantes informelles

Marylou Otshumba Olenga

Introduction


La République Démocratique du Congo, notre pays, partage ses frontières avec neufs pays voisins. Avec ceux-ci, il s’exerce un commerce transfrontalier informel surtout pratiqué par des femmes, portant essentiellement sur les tissus imprimés, les lampants, les produits du cru, les biens de première nécessité, dont la farine de maïs, la semoule de blé, le riz, le sucre, le lait et l’huile végétale


Comme le décrivent
Lesser et Moïse-Leeman, « le commerce transfrontalier informel (ICBT) implique des biens et services légitimement produits, mais qui échappent au cadre réglementaire du gouvernement. » Le commerce transfrontalier s’effectue soit loin des postes frontaliers officiels ou alors à travers ceux-ci, soit en dissimulant totalement ou en partie les marchandises, soit en sous-déclarant celles-ci, soit en les classifiant de manière erronée ou en les sous-facturant afin d’éviter certaines charges fiscales et réglementaires. Une telle pratique permet d’éluder, en totalité ou en partie, le paiement des droits et impositions.

 

Aux différents postes frontaliers, les femmes commerçantes transfrontalières informelles de la RDC éprouvent d’énormes difficultés du fait que les dispositions de l’Accord sur la facilitation des échanges n’y sont pas totalement observées.

 

Ces femmes s'engagent dans le commerce transfrontalier malgré de lourdes charges et responsabilités au sein de leurs ménages. En effet, ces femmes ont des obligations familiales auxquelles elles doivent répondre. Dans leurs activités commerciales, elles rencontrent plusieurs obstacles supplémentaires. Elles sont souvent retenues à la frontière pour effectuer les opérations de dédouanement, alors qu'elles disposent de moins de temps pour passer au contrôle douanier et suivre les négociations avec les agents de douane. Ainsi, pour se tirer du retard, elles sont tentées de payer des pots-de-vin, faute de quoi elles pourraient finir par choisir des destinations plus proches mais non rentables. Cette situation est à la base des activités de contrebande qui s'opèrent à travers les différents postes frontaliers de la RDC.

 

Avant même d’arriver à la frontière, les femmes commerçantes congolaises éprouvent déjà des difficultés, notamment à obtenir des financements. Elles déplorent des taux d’intérêt extrêmement élevés des banques commerciales au moment où les institutions financières formelles du pays sont généralement situées dans les centres urbains, avec peu de présence dans les zones rurales ou périurbaines.

 

Au bout du compte, plusieurs obstacles constituent un frein au commerce transfrontalier informel des femmes en République démocratique du Congo. Mais, en tenant compte des réalités quasi-permanentes aux différents postes frontaliers de notre pays, nous avons retenu cinq obstacles les plus significatifs auxquels font face les commerçantes informelles. Il s’agit : de l’accès et de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC), des contraintes de temps qui empêchent les femmes de s’engager dans le commerce international, de la corruption et du harcèlement à la frontière, des coûts liés à la conformité aux procédures transfrontalières fastidieuses et, du manque d’infrastructures et du mauvais état des routes.


1.  Obstacle à l'accès et à l'utilisation des TIC

 

 De nos jours, les technologies de l’information et de la communication constituent un outil très important dans les échanges commerciaux, notamment dans les échanges d’informations et dans la procédure de dédouanement. Cependant, pour les commerçantes transfrontalières de la RDC, le manque d’accès à ces outils et leur sous-utilisation constituent un obstacle significatif à leur activité commerciale.

 

Aussi, est-il observé que le commerce transfrontalier informel en RDC est exercé en majorité par des femmes d’un niveau d’instruction très bas, vivant dans des conditions sociales précaires et à la quête des moyens pour subvenir aux besoins de leurs familles. Si, d’une part, les femmes commerçantes ne parviennent pas à utiliser les TIC faute de savoir s’en servir, d’autre part, le coût élevé pour acquérir de tels outils en est un autre facteur aggravant.

 

2.  Contraintes de temps qui empêchent les femmes de s’engager dans le commerce international

 

En RDC, les commerçantes transfrontalières informelles sont, pour la majorité, des mères de familles à la recherche des moyens de survie. Elles ont des obligations à remplir, notamment les charges familiales et les tâches ménagères qui font qu’elles disposent de moins de temps pour passer au contrôle douanier et suivre les négociations avec les douaniers au niveau des frontières, mieux pour passer aux bureaux de douane et accomplir les formalités de dédouanement. En conséquence, elles optent plus aisément pour la contrebande qui s’opère à travers les différents postes frontaliers de la RDC.

3.  Corruption et harcèlement à la frontière  
Les commerçantes transfrontalières informelles congolaises, faute de connaître les dispositions du Code des douanes et certaines mesures de facilitation du commerce, peuvent choisir de verser des pots-de-vin aux douaniers plutôt que de suivre la procédure légale pour le dédouanement de leurs marchandises. Aussi, faut-il relever que les commerçants, et principalement les femmes, sont victimes de l’insécurité créée aux postes frontaliers à l’Est de la RDC par des groupes armés qui y sèment la terreur et la désolation. Elles font régulièrement l’objet d’extorsion de leurs biens, de violence sexuelle, et parfois de tueries.  

4.  Coûts liés à la mise en conformité avec des procédures transfrontalières fastidieuses  

Les mesures non-tarifaires (MNT) et la multiplicité des taxes affectent davantage le capital des femmes commerçantes que celui des hommes. En effet, les femmes sont très souvent à la tête de micro-entreprises qui ont tendance à être affectées de façon disproportionnée par les coûts fixes des MNT. Le coût élevé des opérations transfrontalières réduit substantiellement les marges des commerçantes jusqu’à supprimer les bénéfices potentiels. C’est pourquoi ces femmes préfèrent emprunter des voies informelles où elles passeront les marchandises à moindre coût.

5.  Manque d’infrastructures et le mauvais état des routes

 

De plus en plus, il s’observe un déficit ou une absence d’infrastructures adéquates dans la plupart des postes frontaliers. Plus précisément, il n’existe pas d’infrastructures appropriées pour abriter les bureaux de douane et autres services commis aux frontières. Il s'ensuit que les formalités préalables au dédouanement des marchandises, dont la prise en charge, ne s’effectuent pas.

 

En conséquence, le temps de passage aux frontières devient élastique pour deux raisons : la localisation difficile des marchandises et l’absence de poste de travail fixe pour présenter celles-ci en cas de leur localisation à l’agent des douanes. Ce qui motive les femmes commerçantes transfrontalières informelles à emprunter les voies informelles au lieu d’accomplir les formalités requises pour le dédouanement de leurs marchandises. Ceci implique que les droits d’entrée sur les marchandises de fraude ou introduites en contrebande échappent à la douane.

 

Aussi, faut-il souligner que le mauvais état des routes constitue également un obstacle au commerce transfrontalier informel en RDC dès lors que l’acheminement des marchandises à vendre d’un point à l’autre devient un calvaire.

 

I.        CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

 

En dépit des difficultés qu’éprouve le Gouvernement de la RDC, des efforts sont déployés pour faire sortir les commerçantes congolaises transfrontalières du circuit informel et favoriser leur transition vers le formel. Au moyen d’importantes réformes, il est possible d’organiser tant soit peu ce secteur. Mais, pour notre part, ceci n’est possible que si l’on peut explorer quelques options. Il s’agit d’(e) :

  • appliquer totalement le tarif préférentiel « régime commercial simplifié » (RECOS)[1] afin de formaliser le commerce transfrontière informel;
  • améliorer la compétitivité des femmes à travers des formations, ateliers, fora, etc.., afin de mieux maîtriser les contours des procédures de dédouanement et du fonctionnement de l’administration des douanes;
  • encourager les femmes commerçantes transfrontalières à utiliser les outils TIC accessibles avec un téléphone intelligent, notamment le système SYDONIA, pour formalités de dédouanement[2]
  • supprimer les taxes illégales dont la perception alourdit les procédures et rend le petit commerce peu compétitif ;
  • créer et soutenir les associations des commerçantes transfrontalières en vue de mieux négocier les facilités avec l’administration des douanes ;
  • construire des infrastructures immobilières pouvant abriter les services des douanes et autres habilités à œuvrer aux frontières et pouvant permettre une meilleure conduite en douane des marchandises
  • mettre en œuvre des accords  avec les pays voisins en vue de garantir la bonne coordination des contrôles douaniers, de réduire la redondance de ceux-ci, et de faciliter le partage d’informations.


Ces initiatives contribueraient à soutenir les femmes commerçantes informelles de la RDC pour leur permettre de surmonter les obstacles auxquelles elles font face, ainsi qu’à favoriser leur transition vers le secteur formel.


[1] Le Régime Commercial Simplifié « RECOS » a été institué dans le cadre du COMESA et lancé en 2010. Il vise les petits commerçants qui importent ou exportent des marchandises d’une valeur inférieure ou égale à 2.000 USD et qui figurent sur la liste commune des produits éligibles négociée et approuvée par les deux pays voisins. Il a pour objectif de pallier aux problèmes rencontrés par les commerçants transfrontaliers, tels que : la méconnaissance des règles d'origine; la complexité des documents et lourdeur des procédures douanières; les délais très longs pour le dédouanement; l'absence de la documentation pour bénéficier des tarifs préférentiels ; la non-reconnaissance des documents et instruments du COMESA par les douaniers du pays.

[2]Lors des formalités de dédouanement, les femmes commerçantes regroupées en association se font assister, soit par des déclarants en douane, soit par le Bureau d’Information Commerciale (BIC) mis en place par le Gouvernement congolais.

Marylou Otshumba Olenga

Marylou Otshumba Olenga est Sous-Directeur de Facilitation à la Direction de Réglementation et Facilitation de la Direction Générale des Douanes et Accises de République démocratique du Congo. En plus d’être membre du Comité National de Facilitation des échanges de RDC, elle est formatrice en logiciel Sydonia World.

Licenciée en Sciences Politiques et Administratives de l’Université de Lubumbashi en RDC, Marylou Otshumba Olenga est également détentrice de plusieurs brevets de formation en matières douanières et autres en RDC et à l’étranger.

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